C’est sans doute parce que le message de S. m’a fait tant frissonner Coucou ma Popo, le monsieur est décédé du covid, tout seul, comme un con sur un brancard à l’hôpital que cet après-midi, j’ai quitté sans réfléchir ma table de travail et que je suis allée danser sur la terrasse de mes voisins absents. Quand j’avais 15 ans, cette terrasse, c’était le jardin de ma grand-mère et dans les souvenirs vifs de ces instants, mon corps s’est mis à bouger et à ne plus s’arrêter de bouger. Les bras dirigés vers le ciel, Nils Frahm dans les oreilles, son morceau Says m’entraine pieds nus sur les dalles de béton. Et cette danse, je la donne à qui veut s’y intéresser. Les oiseaux n’y prêtent aucune attention. Le monde dans son ensemble, s’en fiche totalement. Je danse pour S. Je danse pour toutes les S. de cette terre. Mon horizon semble changer de couleur. J’ouvre les portes de la maison d’écriture et le monde m’apparaît rouge. Rouge le fauteuil. Rouge la tasse de thé. Rouge la tulipe en train de s’ouvrir. Les balises d’un rouge vif à l’horizon au milieu de la mer. Il est étrange de croiser sur la départementale alors que je la remonte à pieds, ce vieux camion de la Croix Rouge. L’American Red Cross pour laquelle ma vieille tante Bretonne Agitte s’est engagée pendant la guerre 14-18. Où roule ce camion venu d’un autre temps ? Rouge le cadre autour du panneau de signalisation indiquant l’entrée de Perros Guirec. Rouge la quille du bateau échoué. Rouge la colère. Le point rouge devient une immense tâche qui s’agrandit jour après jour sur la carte du monde. L’horizon s’élargit et les articles du Ouest France me parle désormais de la planète entière. Mon écriture teintée par ce rouge-là. Le souffle du monde. Sa tachycardie. Les palpitations nocturnes me rappellent cet horizon commun. Mon amie S. perd un patient dans le couloir d’un hôpital de l’APHP. La nièce de cet homme, au téléphone, s’adresse à S. Il y a des gens comme vous qui ont le cœur grand comme l’horizon. Dans son message, S. ajoute Voilà, le pire et le meilleur en même temps. Je laisse le rouge s’estomper, être balayé par les vaguelettes de la marée montante. Quels mots se cachent derrière l’horizon ? Aujourd’hui, j’ai regardé un peu plus loin que le bout de mon nez. J’ai convoqué mes morts. Et j’ai dansé pour ceux des autres.
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