Les allers-retours l’été de mes quinze ans entre le port de Perros Guirec et la plage de Trestraou me reviennent pendant que je descends la vieille côte empruntée tant et tant de fois. Il y avait toujours quelque chose à y faire, quelqu’un à y voir, et cela à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Trestraou. Des rendez-vous amoureux aux bains de minuit entre copains. Des heures à exposer nos corps d’adolescentes au soleil. Des journées entières à se raconter les histoires de la vie et ce qu’on serait quand on serait grandes. Il était question de sauver, de soigner, de construire, de partager, d’aimer, il était question de grandeurs, de beauté, d’aventures. Trente minutes aller. Trente minutes retour. Trente minutes pour accéder à la liberté, pour échapper à la surveillance des parents, trente minutes pour découvrir le monde. Trestraou. Terre des premières fois. Je me demande si ces trente minutes ne sont pas celles qui me séparent aujourd’hui du temps de l’insouciance ou est-ce que je ne suis pas seulement en train de délirer, là, sur mon clavier, dans un acharnement à écrire et saoulée par les volutes de solitude mal digérées ? Ou est-ce simplement que je voudrais tendre la main, la plonger dans le sable de Trestraou et ne pas oublier tous ces rêves que l’on avait pour notre planète ? Et dans un autre sursaut de folie, je voudrais les entendre tous les rêves qui s’échangent quand les portes des maisons sont fermées, quand après des journées difficiles, certains rejoignent la douceur du foyer, quand certains apaisent enfin leur colère, quand celle qui a travaillé plus que d’habitude rejoint le lit de l’amoureux, quand les parents ont couché les enfants, quand les écrans sont mis en veille, quand on éteint la lumière, je voudrais les entendre les secrets qu’on ose s’avouer dans les espaces confinés, ces espoirs pour l’après, ces envies de ralentir, de sortir grandis de tout ça, je voudrais tendre la main et ouvrir les fenêtres, les ouvrir en grand ces fenêtres pour les entendre fort et de plus en plus fort tous ces rêves. Je voudrais qu’ils emplissent les plages désertes. Je voudrais que les trente minutes qui nous séparent de Trestraou ne soient plus qu’un mauvais souvenir dont on se dira qu’il nous a rendu meilleurs.
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